
Bunkart, une plongée dans le passé totalitaire de l’Albanie
On y accède à l’exposition par un ancien bunker, aujourd’hui il est tapissé par les photographies des martyrs du régime totalitaire communiste qui a sévi entre la libération nazie et la révolution de 1991. L’abri est un dédale de couloirs bétonnés flanqués de petites pièces. Chacune est aménagée pour expliquer l’évolution de la police depuis l’indépendance jusqu’en 1991 en passant par l’établissement du pouvoir totalitaire.
L’exposition s’attache à montrer l’évolution des techniques d’investigation et du contrôle de la population. On peut y apprendre que le pouvoir allait jusqu’à contrôler la mode et les coupes de cheveux. Ainsi, les cheveux longs étaient interdits pour les hommes. Quant aux rares touristes qui entraient en Albanie, ils devaient se conformer au code vestimentaire en place en ne portant rien d’extravagant de peur de provoquer des troubles. Si la tenue ou la coiffure ne convenait pas à l’entrée du pays, tout était prévu, un coiffeur et un magasin étaient à leur disposition.
L’aspect extérieur n’est qu’un aspect du contrôle total exercé par le pouvoir, la presse, la production artistique, la pensée étaient vérifiées. Le pays entier était sur écoute, à la moindre suspicion l’appareil répressif se mettait en route, arrestation arbitraire, interrogatoire, torture, aveux extorqués et jugement expéditif étaient courants. Personne n’était à l’abri, tout le monde était suspect. Si vous échappiez à l’exécution, vous pouviez également vous retrouver interné dans un camp de rééducation. Le travail était pénible et les rations alimentaires trop faibles. Le système répressif est complet : contrôle, internement et assassinat de masse. Il n’existe pas de voie de recours, et même mort, le corps n’est pas rendu à la famille, il continue à exécuter sa peine. Tel est le système totalitaire mis en place.
La dernière pièce visitée contient la liste des personnes assassinées par le régime. À titre personnel, c’est le moment le plus fort de l’exposition, on touche du doigt une actualité pas si lointaine. Seulement trente ans nous séparent de cette réalité. La pièce de ce bunker résonne avec une salle du musée national qui expose les objets de personnes tuées lors de tentatives d’évasion du pays ou abattues lors de la révolution de 1991.
Quel que soit le régime politique, le respect de nos droits fondamentaux est fragile. Nous devons y être attentifs. Cette exposition nous fait également penser aux personnes qui sont encore victimes du totalitarisme. L’Albanie a reçu le statut de candidat à l’UE depuis 2014 et depuis le dossier est bloqué. Or l’intégration dans l’Union européenne permettrait à ce pays de refermer ce chapitre de son histoire.
Bunkart n’est pas qu’un lieu de souvenir, c’est également un endroit d’expression pour les artistes. Ainsi on trouve plusieurs installations en rapport avec les différentes persécutions endurées. Ce lien entre passé et présent à travers l’art agit comme une catharsis.
[…] Les anciens cachots du KGB montrent un côté sombre de l’histoire du pays. On parle ici de l’occupation soviétique qui a été très dure. Elle s’est caractérisée par une détention ou une déportation systématique des opposants politiques et des corps constituants de la société civile. Nombre de professeurs, hommes et femmes politiques, intellectuels ont été emprisonnés, interrogés et déportés en Russie profonde. Leur point commun : à un moment, ils sont passés par les cellules du KGB. Elles sont glaçantes. Je vous conseille de poursuivre la visite par le « Vabamu », ou le musée des occupations et de la liberté. C’est un lieu particulier, en effet, les pays baltes ont subi au cours du XXe siècle deux occupations soviétiques et une allemande. Ce musée vient retracer cette histoire. Il narre comment l’occupant a systématiquement essayé de remplacer les populations locales en pratiquant la déportation des autochtones à grande échelle et l’installation de russophones en grand nombre. Un des premiers mouvements de résistance a été d’enseigner la langue estonienne clandestinement partout où cela était possible. Les régimes autoritaires ont ceci de commun, ils musellent les opposants, et la torture fait partie du système de manière structurelle. Le pouvoir judiciaire est mis au pas et les opposants sont des terroristes. À ce titre, on retrouve des marqueurs communs avec le régime albanais qui sévit jusque 1991 (retrouvez l’article à ce sujet en cliquant sur ce lien). […]